
Démontrer n’est pas convaincre. Un monde les sépare.
Vouloir convaincre en démontrant : la grande erreur des esprits trop logiques, la naïveté des jeunes enthousiastes. Regardez-les, par exemple, ces ardents défenseurs de « droite » ou de « gauche » : ils pensent se convaincre les uns les autres par des arguments imparables, des estocades de mise à mort ; mais c’est comme un combat de titans, où les coups supposés définitifs s’assènent alternativement, et les combattants sont toujours vivants, s’épuisant à mesure certes, mais toujours campés sur leurs pieds et leurs positions, aucun ne mourant, aucun même ne reculant d’un pouce. Et le combat s’arrête faute de combattants, bien plus que faute d’arguments.
Nul ne s’est jamais mis en mouvement, nul n’a jamais renié ses convictions, nul ne s’est jamais surpassé, sur la foi d’une seule démonstration.
C’est que démonstration n’est pas impulsion. Si elle est bienvenue, utile, voire indispensable pour donner une raison de bouger, ce n’est pas elle qui donne l’énergie pour le faire. La démonstration, ce n’est que remonter la pendule : c’est stérile si l’impulsion du coup de pouce sur le balancier ne vient donner subitement la vie là où il y n’y avait qu’objet, certes remonté à bloc, mais objet inerte.
Jamais un amoureux ne s’est enflammé uniquement par ce qu’on lui avait démontré que cette femme était la femme de sa vie ; jamais un homme a couru joyeusement au combat uniquement parce qu’on lui avait démontré que c’était le combat de sa vie.
C’est qu’il faut « du cœur à l’ouvrage » pour faire un bel ouvrage. Et le coeur a ses raisons que la raison ne connait pas. Si l’on veut convaincre, c’est-à-dire tendre toutes les forces d’un esprit, mais aussi, et surtout dirai-je, d’un cœur et d’une l’âme vers l’action, ce sont les raisons du cœur ou de l’âme qu’il faut mettre en branle : raisons infiniment mystérieuses, personnelles, propres à chaque individu, une alchimie lentement élaborée et confortée au cours des années de sa vie, un composé de sa personnalité, de sa sensibilité, de ses goûts, de son éducation, des expériences vécues, délibérées ou subies, de…, de… ; elles sont le plus souvent mystérieuses à l’être même, comment alors un tiers peut-il les percer ? C’est tout l’art de savoir convaincre, un art bien plus qu’une technique : l’art de savoir bien donner le coup de pouce, ni trop fort, ni trop faible, et dans la bonne direction, au balancier de la vie qui anime l’esprit de chacun de nous.
Démontrer et convaincre : le premier est le socle, bienvenu quoique pas indispensable -les plus fanatiques des êtres sont souvent les moins éduqués, et toutes les maisons n’ont pas de fondations- sur lequel il sera plus facile de bâtir l’édifice du second. Mais ce n’est qu’un socle, un soubassement. Tout l’art, toute la vie, tout le mouvement, sont dans la conviction, cet édifice qui pourra s’élever sur ce socle.