En France, une idée délétère est en train de s’installer : « notre décrochage économique est inéluctable ». Et, pendant que nous cédons à ce fatalisme morbide, de formidables évolutions sont à l’œuvre ailleurs à commencer par l’accélération foudroyante du rattrapage scientifique dans les pays émergents. Preuve de ce dynamisme, la Chine s’est engagée à consacrer au moins 2,5% de son PIB aux dépenses de R&D à l’horizon 2020, se donnant ainsi les moyens de rivaliser à terme avec le Japon et les Etats-Unis. Alors que la compétition pour l’innovation s’intensifie à un tel degré, il va nous falloir mettre toutes nos forces en parfait ordre de marche et, sans doute, les amplifier encore, si nous voulons demeurer au premier rang aux côtés de Los Angeles, Boston, Tokyo et autres, aujourd’hui, Pékin et Singapour demain.
Nous pouvons et nous devons faire de Paris une capitale mondiale de l’innovation en santé en renforçant tant notre rayonnement scientifique que notre puissance industrielle. En France, nous ne sommes pas assez conscients du formidable levier de créations d’emplois que représente l’innovation médicale. Ce levier n’a rien d’une chimère : il est là, sous nos yeux. Quel formidable potentiel existe déjà ! Nos hôpitaux, nos universités, nos centres de recherche, dont nombre d’entre eux sont universellement reconnus parmi les meilleurs au monde, et qui recèlent des talents incomparables. Nos grandes entreprises, du médicament, du dispositif et du matériel médical, du diagnostic, et bien sûr nos clusters d’entreprises PME et start-up, totalement engagées dans l’innovation. Dans la région Ile-de-France, Medicen, le pôle de compétitivité qui regroupe l’ensemble de ces acteurs, peut et doit être le fer de lance de cet écosystème de croissance. Le pari repose sur une idée simple, mise en exergue par l’économiste Paul Krugman : c’est la proximité géographique des acteurs économiques, c’est la mutualisation de leurs moyens et savoirs qui créent les conditions d’une compétitivité durable. C’est cette proximité à laquelle nous devons veiller, c’est cette mutualisation que nous devons intensifier. Tel est l’enjeu et le défi pour atteindre cette « open innovation » dont plus personne ne conteste qu’elle est LE modèle de l’innovation de demain, particulièrement dans la santé.
Pour mieux exploiter ce formidable potentiel, il faut un soutien sans faille et unanime des élus. Les échéances qui approchent, 2014 pour la ville de Paris, 2015 pour la région Ile-de-France, sont l’occasion de dresser un bilan, mais surtout d’appeler à poursuivre l’effort mené en faveur de la recherche médicale francilienne. Quel que soit le verdict des urnes, celles et ceux qui seront aux commandes devront avoir conscience que ce secteur mérite d’être stimulé, encouragé, motivé, reconnu, pour exprimer son plein potentiel d’innovation et de création d’emplois. Certes, beaucoup a déjà été fait : les 2,4 milliards d’euros débloqués dans le cadre du « grand emprunt » ont déjà donné une forte impulsion et le « contrat de performance », grâce auquel l’Etat et Medicen s’engageront en 2014, est une feuille de route indispensable. Mais, nous le savons, cela ne suffit pas. Cette ambition nationale doit être relayée et orientée par une volonté politique régionale et locale forte et unifiée, qui exprime une vision, une ambition commune et une confiance sans faille dans les acteurs, pour qu’ils retrouvent une fierté collective parfaitement méritée.
Les prochaines élections locales doivent être l’occasion d’apporter une vision renouvelée, qui passe par une prise de conscience autant de nos atouts que de nos lacunes.
L’écosystème d’innovation santé en Ile-de-France est comme un piano, un piano des plus prestigieux, un Steinway de concert, mais un piano dont le couvercle du clavier serait un peu grippé.
L’étendue du clavier de compétences dont nous disposons est unique : les sciences de la vie, les sciences « dures », toutes aujourd’hui nécessaires, et bien plus que par le passé, à l’innovation en santé, sont présentes, et en escadrons puissants, en Ile-de-France, nos compétences spécifiques à la santé, représentées par les membres de Medicen, mais aussi le savoir-faire considérable en systèmes et en logiciels, lié aux industries de la communication, des télécommunications, de l’automobile, de l’armement, quatre industries majeures où la France occupe une position prédominante. Le nombre croissant de projets menés conjointement entre les pôles Medicen, Systématic et Cap Digital témoigne de l’intérêt et de la puissance de cette synergie. Soyons conscients que l’Ile-de-France figure parmi le très petit nombre d’écosystèmes possédant une telle concentration de savoirs complémentaires. « Télémédecine », « Medtech », « e-santé », sont ainsi des domaines fortement émergents d’innovation en santé, pour lesquels nous disposons de tous les savoirs nécessaires.
La qualité des acteurs est un autre atout majeur que j’ai déjà évoqué pour les acteurs de la santé. Il en est de même pour ceux de la technologie qui produisent tous des sons dignes des meilleurs Steinway.
Largeur de spectre, taille, qualité, tout est donc là pour que Paris soit une capitale mondiale de l’innovation en santé. Que manque-t-il pour qu’elle le soit autant qu’elle pourrait l’être ?
Nous sommes confrontés à des lacunes persistantes que nous devons combler sans tarder : d’une part, appeler nos élus à exercer un réel leadership et à éviter deux écueils récurrents : le saupoudrage des crédits et l’incertaine pérennité des financements. Medicen, dans son contrat de performance, devra clarifier et cibler ses objectifs stratégiques, mais il ne pourra valablement les mettre en œuvre qu’à cette condition. D’autre part, vaincre les résistances, les barrières culturelles et historiques entre ces acteurs si divers en taille, en métiers, en structure, qui entravent fortement la fluidité et la perméabilité nécessaires à l’émergence d’un véritable écosystème d’open-innovation. Cela se fera d’autant mieux si tous ces acteurs, si divers à tous points de vue, partagent tous néanmoins le sentiment fort de participer à une formidable aventure collective clairement exprimée et fortement ressentie. Seule l’expression d’une volonté politique forte et unanime le permettra. Une volonté qui exprime la confiance dans le progrès, dans la science, et dans ceux qui mettent tout cela en œuvre. Seule cette volonté sera à même de dégripper le couvercle du clavier de ce magnifique Steinway dont nous disposons en Ile-de-France.
Arnaud Gobet
Président d’INNOTHERA
Paru sur L’Huffington Post le 05/06/2013