Qu’il est donc difficile et périlleux de se tenir élevé ! Comment garder la tête froide, si près du soleil ? Comment garder les pieds sur terre, la tête si près des étoiles ? Et le vertige, ce mal des hauteurs qui rend fous certains ; et cette satanée hauteur qui ne vous fait plus distinguer les détails de la vaste plaine en bas ; et cette dévorante jalousie d’apercevoir au loin une cime plus élevée encore ; et cet air qui se raréfie et qui vous rend si pénible le moindre effort ; c’est que parvenu à la cime, le risque est grand de devenir un parvenu…
Si l’homme s’élève à la force du poignet, combien, une fois atteinte cette hauteur tant convoitée, ne doit-il pas mobiliser bien plus encore les forces de son être pour pouvoir s’y tenir droit, digne et décent !
Décence, cette haute vertu – et si peu la vertu des hauteurs – qui est, disait Orwell, « plus répandue dans le peuple que dans les classes supérieures, extrêmement rare chez les intellectuels, qui est un composé d’honnêteté et de bon sens, de méfiance à l’égard des grands mots et de respect de la parole donnée, d’appréciation réaliste du réel et d’attention à autrui ».
Richesse sans mépris, puissance sans arrogance, érudition sans prétention, honneurs sans orgueil : elle est si étroite la crête qui permet de dominer décemment ses semblables, et combien sont raides et profondes les pentes qui, si vous n’y prenez pas garde, vous entraînent dans une épouvantable chute sans retour!
La pratique de la haute altitude, au sein des humains autant qu’en montagne, demande une longue et minutieuse préparation : du matériel certes, c’est là le plus facile, mais aussi préparation physique et mentale. Ainsi, bien préparé, il est malgré tout bien dangereux de s’y aventurer sans guide. Malheureusement les bons guides des hauteurs humaines sont infiniment plus rares que les bons guides des hauteurs terrestres…