« Il y a quelque chose de pourri au Royaume du Danemark » : cette célèbre citation proverbiale de Shakespeare renvoyait certes à la turpitude familiale et fictive d’Hamlet mais s’appliquerait aussi à merveille au « cas » Theranos, startup autrefois incontournable de la Silicon Valley et désormais étoile déchue de l’Empire des Biotechs.
L’histoire était pourtant bien belle, revêtue des attributs propres à créer ces « success story » dont les américains, en particulier les startupers et multi-entrepreneurs des principaux hubs technologiques du pays, sont friands, de la légende du garage californien au mythe de la self-made woman devenue milliardaire grâce à une intuition visionnaire.
Annoncé avec faste en 2013, les projets de Theranos promettaient, rappelons-le brièvement, une révolution complète des tests sanguins, via un prélèvement sans aiguille. L’éminente simplicité du dispositif, rendue possible par le recours aux nouvelles technologies, s’accompagnait par ailleurs d’un prix défiant toute concurrence, ouvrant ainsi la voie à une « ubérisation » des laboratoires médicaux classiques.
Après avoir connu les sommets de la « hype » technologique et des indices boursiers, plus dure aura été la chute pour la société basée à Palo Alto, convaincue cette année de mensonges et de fraude. Tant pis pour les investisseurs qui, persuadés de tenir la pépite de demain, ont dépensé de fortes sommes afin d’aider à son développement, jusqu’à porter sa valorisation boursière à plus de 9 milliards de dollars en 2014.
Face à l’ampleur de la déception et de la désillusion, il serait bon de rappeler ici certaines vérités bonnes à dire, et qui ne présument en rien de l’intérêt et de l’enthousiasme de l’auteur de ces lignes quant à la révolution numérique en cours.
Oui, il existe bien une tendance propre aux fonds, banques et autres acteurs majeurs du financement de l’économie, qui consiste à chercher coûte que coûte la nouvelle licorne, à l’heure où la rapidité des innovations et les changements de paradigmes liés au digital font craindre à chacun l’obsolescence programmée de son business model.
Pour ne pas devenir le prochain Kodak, ou, pire encore, le prochain Nokia, ancien roi incontesté du mobile relégué désormais au purgatoire des télécoms, l’urgence est donc à la prospection de startups et de jeunes pousses novatrices, partenaires de choix de grandes et moyennes entreprises qui ont de plus en plus de mal à innover de par elles-mêmes.
Au-delà de cette peur de rater le prochain virage, c’est la fameuse « fear of missing out » ou FOMO qui se dévoile en véritable clé de voute de notre société occidentale, à la fois ultra-connectée et dopée à l’immédiateté propre aux réseaux sociaux et au Web 2.0.
Hantise à l’idée de passer à côté du succès, crainte que quelqu’un se saisisse à votre place d’une opportunité : le phénomène est désormais connu et identifié aussi bien chez les adolescents internautes de la génération Z que chez les tradeurs et donc investisseurs de la Silicon Valley, où une centaine d’entreprises non cotées pèsent plus d’un milliards d’euros (CB Insights 2015).
Il ne s’agît nullement de lancer ici une pétition de principe en faveur d’un immobilisme trop prudent, qui viendrait récompenser les seuls projets et startups déjà établis, mais plutôt de plaider en faveur d’une réflexion sur les vertus d’une stratégie inscrite dans le long terme, en veille des nouvelles technologies quoique consciente de la vanité des modes et des risques de bulles.
La santé nécessite des investissements et des validations biologiques et cliniques longues et risquées. Un chef d’entreprise digne de ce nom se doit ainsi d’expérimenter constamment et de débusquer les nouvelles idées et tendances présentes dans son écosystème, tout en sachant raison garder face à l’obsession de dénicher à tout prix la nouvelle pépite, à l’heure où le taux de faillite dans la High Tech californienne dépasse les 90%.
Nous avons certes besoin, en particulier en France, d’investisseurs audacieux qui acceptent de prendre des risques, ce qui passerait notamment par un développement d’un capital-risque à la française, aujourd’hui handicapé par un manque récurrent de moyens. Gardons cependant en mémoire l’exemple de Theranos pour favoriser de concert les contrôles, de façon à éviter qu’un rêve entrepreneurial se transforme en descente aux enfers.
Arnaud Gobet
Président d’INNOTHERA
Paru sur Maddyness le 24/11/2016