Connais-toi toi-même, adjurait la Pythie au fronton de son temple. C’est que nous ne connaissons de notre être pas plus que ce que nous connaissons de notre corps : son enveloppe et son apparence extérieure. Nul n’a jamais vu son cœur, son estomac ou aucun de ces organes qui constituent l’essence de sa vie, bien plus que sa peau, ses cheveux, ou même ses membres. Quand bien même de l’enveloppe extérieure, nul ne s’est vu de dos, nul ne s’est vu de loin (notons qu’avant l’invention du miroir, nul ne se connaissait de face, si ce n’est en jouant les Narcisse au hasard de la rencontre d’une étendue d’eau). Pourrait-on dire que nul n’est moins bien placé pour connaitre son enveloppe extérieure que lui-même ? Quant à l’intérieur de notre corps, nous ne le ressentons et en prenons conscience que lorsqu’il rechigne : des maux, des douleurs qui manifestent sa mauvaise humeur : il se signale à nous, mais sans pour autant nous en dire plus que simplement sa mauvaise humeur.
Je dis que nous ne connaissons pas plus notre être profond que nous ne connaissons les profondeurs de notre corps. La pensée, le cœur, l’âme, les trois constituants de cet être que nous sommes.
Disons que la pensée est l’enveloppe extérieure de notre être. Chacun sait ce qu’il pense, comment il pense, comment il raisonne. Ou, tout au moins, l’appréhende. Il y a de la subjectivité là-dedans, tout comme l’appréhension de la beauté extérieure du corps : qui ne raisonne faux, persuadé de raisonner juste, qui ne se trouve beau ? À l’inverse, qui ne s’aime pas, de corps comme d’esprit ? Mais enfin, globalement, chacun connait à peu près comment il pense et raisonne, ce qu’il sait, de même que chacun sait la tête qu’il a.
Et notre pensée, à l’image de notre corps, se fripe et se ride en vieillissant, à moins que, pour quelques êtres d’exception, elle acquiert cette beauté mystérieuse des grands âges respectables.
Il en est bien autrement de notre cœur et notre âme. Ce cœur est plus enfoui encore que notre cœur physique. Il est animé de pulsions bien plus irrégulières et imprévisibles ; et qui prétendrait mesurer son pouls ? Et il se brise à ne pouvoir supporter une peine trop lourde, tout comme ces cœurs physiques qui lâchent sous une pression trop forte.
Quant à l’âme, combien les doctes docteurs n’ont-ils débattu des siècles durant si elle était dans notre corps, ou ailleurs nul ne sait où ! Allez savoir comment est notre âme, quand on ne sait pas même où elle est !
Ce sont pourtant bien nos cœurs et nos âmes, à l’égal de nos organes invisibles, qui sont l’essence de ce que nous sommes ; ce sont eux qui nous donnent la vie, et non l’apparence de la vie, apanage de la seule pensée. Regardez-là, cette pensée : elle s’imite à s’y méprendre par des machines « intelligentes », comme des mannequins de cire imitent à s’y méprendre notre enveloppe charnelle. Mais la vie est bel et bien à l’intérieur, enfouie dans les cœurs, nimbée dans les âmes.
Connais-toi toi-même…. Il ne suffit donc pas de se regarder, de jouer les Narcisse. Si l’intérieur de notre corps nous restera toujours inaccessible, il est possible d’accéder à l’intérieur de notre être, nous dit la Pythie. Au prix d’une vraie volonté et d’un vrai travail. Faisons-nous aider dans ce travail, un travail d’observation, de dissection, de chirurgie.
Les sages sont ceux qui ont réussi à se connaitre eux-mêmes, en s’aidant eux-mêmes d’autres sages qui les ont précédés. Des sages ont écrit, des sages -peu, mais il en existe, il nous faut les identifier- vivent autour de nous. Lisons les sages, parlons avec les sages, inspirons-nous des sages -je ne dis pas imitons, car il s’agit bien d’une inspiration, c’est l’inspiration de l’air qui nous donne la vie- Que la quête de la sagesse devienne aussi importante pour nous que la quête du confort.
Connais-toi toi-même… Jamais tu ne te connaitras complètement ; ne t’en soucie point, réjouis-toi qu’il reste en toi une part de mystère pour toi-même, c’est là ton coté divin.
Je dirai plutôt : efforce-toi sans cesse de te connaitre mieux toi-même….