Tout ce qui vit a des parents : créateurs biologiques, qui lui ont donné la vie. Des parents qui, tout jeune encore, l’ont nourri et lui ont tout appris ; des parents qui ont vécu autant pour lui que pour eux ; des parents qui eux-mêmes avaient des parents ; et ce jusqu’à la nuit des temps.
C’est une chaine ininterrompue qui mène des cavernes – et peut-être de bien avant – jusqu’à l’homme « civilisé » que nous sommes aujourd’hui. Une chaine ancrée dans les profondeurs abyssales de nos origines, et qui tient ferme le fier navire de ce que nous sommes aujourd’hui.
Ce qui vaut pour l’individu vaut pour la société : toute époque vivante a des parents. S’il n’y a point reproduction biologique, il y a bien nourriture et apprentissage. La « jeunesse » est formée par la génération d’avant, elle-même formée par celle d’avant encore…
Aujourd’hui est donc bien l’élève d’hier.
Tout va bien quand l’élève respecte le maître. Tout va bien quand le maître n’a d’autre ambition que de rendre son élève meilleur que lui-même. Tout va bien quand l’élève écoute le maître, de sorte que le maître puisse entendre l’élève, et l’enseigner alors au mieux. Tout va bien quand maître et élève sont convaincus de l’utilité de l’enseignement.
Qu’un seul manque et la machine est grippée. Mécanique de précision, en fait, si facile à gripper …
Les bons élèves ne sont pas la majorité de la classe. Pourquoi les bonnes époques seraient-elles la majorité des époques ? Notre époque en est-elle ?
C’est que notre époque, parfois, doute de l’utilité de son enseignement : c’est que l’élève a du mal à écouter le maître, tant l’époque galope vite ; c’est que le maître a du mal à entendre l’élève, tant ils sont sur une autre planète ; c’est que l’élève ne respecte pas le maître, tant il le trouve d’une autre époque ; c’est que le maître ne sait où il veut mener l’élève, tant le monde est frémissant.
C’est que notre époque, pleine de talents, surdouée en puissance, est néanmoins dissipée, distraite par de multiples choses ; c’est que la classe est austère, c’est que ses fenêtres sont trop largement ouvertes sur une nature verdoyante et attirante ! Elle a pour l’innovation, pour le changement, pour ailleurs, pour autrement, les yeux de Chimène pour Rodrigue. « Ancien » rime avec « poussière », « séculaire » rime avec « grenier », « tradition » rime avec « rouille ».
Tels ces explorateurs imprudents et inconscients, elle ne rêve que de brûler ses vaisseaux pour ainsi brûler son passé. Ces mêmes enfants brouillons, indépendants et irrespectueux, seront parents un jour, car aujourd’hui sera le maître de demain …
Entendront-ils leurs enfants mieux qu’ils n’écoutaient leurs parents ?