Il faut raisonner, et non point être raisonneur. Il faut raisonner, et non point ratiociner. Il faut argumenter, et non point ergoter. Il faut démontrer, et non point crucifier. Il faut analyser, et non point disséquer. Il faut être logique, et non point rigide. Il faut, sans être crédule à l’excès, savoir accepter ce qui ne peut s’expliquer.
Tant de belles et bonnes choses dont la raisonnable raison peut nous combler ; tant de désagréments à soi-même et aux autres dont l’excès de raison peut nous affliger !
La raison est comme l’argent : un bon serviteur et un mauvais maitre. L’argent est un serviteur attentionné qui nous permet de jouir plus agréablement des félicités de la vie. La raison est une servante avisée qui nous permet d’ordonner plus intelligiblement la vie. Si nous sommes sages, contentons-nous d’être raisonnablement raisonneurs, tel le sage qui se contente d’être raisonnablement riche.
L’argent ne peut pas tout offrir ; il est de nombreuses choses qu’il est impuissant à acheter : l’amour, l’amitié, la beauté, l’éternité, les dons de toutes nature dont seule Dame Nature a le pouvoir de nous gratifier, et surtout le bonheur …
La raison ne peut pas tout résoudre ; il est de nombreuses choses qu’elle est impuissante à expliquer ; particulièrement deux choses qui nous entourent, nous enlacent, nous serrent dans leurs filets dès notre éveil et tant que nous veillons : les passions humaines, le mystère de la vie. Ce sont les passions qui mènent le monde, et point la raison, c’est le mystère de la vie et la perspective de la mort qui guident nombre de nos actions.
La raison n’est point une déesse qu’il faut ériger sur un piédestal et adorer exclusivement. Ce n’est point non plus une importune compagne, rabat-joie avant tout. Donnons-lui la place de choix qu’elle mérite à nos côtés, traitons-là avec tous les égards dus à un ami qui nous veut du bien ; mais, toute humaine à notre égal, de grâce, ne l’adorons pas à l’égal d’une déesse !