Le XXIème siècle sera, parait-il, le siècle du recyclage des déchets.
Subitement conscients que notre planète, que nous pillons sans vergogne, si généreuse de ses richesses, n’est pas néanmoins un puits sans fond, nous nous culpabilisons dorénavant de jeter sans regarder, de gaspiller sans sourciller, de consommer sans hésiter.
Ainsi les déchets, fruits de notre gloutonnerie et de notre industrie, objets précédemment de notre souverain dédain, sont maintenant regardés avec les yeux de Chimène, par la magie du « recyclage », ce merveilleux concept, cette transmutation des temps modernes, qui génère en masse partout dans le monde, et chez les plus brillants cerveaux, des vocations d’alchimistes.
C’est ainsi, nous découvrons les déchets et leur formidable potentiel …
Qui ne se targue et se réjouit d’utiliser du papier « recyclé », plutôt que du bon et rutilant papier tout droit issu de ces pauvres arbres ulcérés d’être ainsi abattus pour le plus souvent finir négligemment chiffonnés en corbeille à papier. Grâce à Dieu, dorénavant, recyclage et re-recyclage leur promettent une nombreuse descendance de papiers tous plus glorieusement recyclés les uns que les autres !
C’est que toute vie, tout mouvement, toute transformation produit ses déchets : chaleur pour un moteur, excréments pour un être vivant, cendres pour un bois tendre, qu’importe la nature et le terme : c’est que toute action a des conséquences autres que strictement celle pour laquelle elle a été engagée ; des effets secondaires, des effets « collatéraux », qui produisent ces « déchets » inutiles à première vue mais incontournables.
Hier encore, on les méprisait, on les cachait, on les ignorait, on les jetait, on les enterrait. De l’éboueur à la dame pipi, en passant par ces poubelles familiales que tout un chacun se défilait à vider, ou, infiniment plus préoccupant, à ces déchets nucléaires profondément enfouis, elle est longue la liste de ces « déchets » dont la seule évocation choquait les chastes et pures oreilles des gens de bien, dont personne n’aurait osé parler dans les « dîners parisiens » ! Mais aujourd’hui qui ne se glorifie de trier en expert les ordures domestiques dans des poubelles de toutes les couleurs !
Toute vie, c’est ainsi, produit ses déchets. La vie de l’esprit tout autant que celle de la matière. Si les uns vivent donc aujourd’hui une éclatante réhabilitation, il n’en est point de même des autres, loin s’en faut. Colère, jalousie, intolérance, racisme, avidité, égoïsme, orgueil, mépris, sont quelques-uns des « déchets » secrétés par la vie en collectivité. On les nie ou les ignore chez soi-même, on les méprise chez les autres. Et pourtant, combien ne captent-elles, ne consomment-elles pas de cette énergie vitale qui est le ressort de chacun d’entre nous ! Si le rendement en « bonne énergie » des moteurs thermiques a tant de mal à dépasser les 40 %, je ne suis pas sûr que celui de la machine cérébrale humaine soit plus avantageux …
Et si nous nous lancions dans le traitement de ces déchets de l’esprit ? Tout comme nous le faisons maintenant pour ceux de la planète. Il faudrait d’abord, pour pouvoir s’en occuper correctement, reconnaître leur existence … L’angélisme, le « tout le monde il est beau, il est gentil », la négation officielle de tous les bas instincts, évidemment, ne s’y prêtent guère … Hypocrisie « bourgeoise », angoisse de ce qui se cache sous le couvercle de la marmite humaine, font qu’en la matière, la politique de l’autruche prévaut largement.
Certes, la religion dans nos péchés reconnait les déchets et les traite à sa manière, par la confession, en les brûlant plutôt qu’en les recyclant : absolution égale mise en cendres. Mais pour les non-pratiquants, sans même parler de recyclage, point de brûlage ; qu’ils se débrouillent comme ils peuvent avec leurs déchets, la seule consigne et contrainte étant qu’ils les mettent à la décharge publique, j’entends qu’ils restent confinés dans les bornes de la loi, et point étalés en pleine rue à la vue de tous, pour que la vie collective reste néanmoins possible. Ni brûlés, ni recyclés, ces déchets de l’esprit humain s’entassent ainsi en immenses décharges, hors de la vue commune, stockées au fin fond de la forêt impénétrable des consciences collectives et individuelles.
Et si nous les reconnaissions et traitions ce qui peut être traité, si nous tentions de réduire ces immenses et immondes décharges, en les brûlant plutôt qu’en les laissant pourrir ? Certes, jamais ne les éliminerons-nous totalement, loin s’en faut. Si la face noire de nos pensées et instincts n’est pas celle de la lune, indéfiniment condamnée à embrasser la moitié de sa surface, elle ne pourra néanmoins jamais être réduite à néant …
Reconnaissance est un préalable à la repentance. Si le repentir est une manière de traiter nos déchets, de les brûler, il faut au préalable pour chacun une prise de conscience de la nature et de la masse de ses déchets. Le confesseur pour les pratiquants y aide grandement. S’il est un authentique confesseur – reconnaissons néanmoins que l’art est difficile – , il aide à exprimer, il « accouche » les « péchés », il entend, il comprend, il « déculpabilise », il tempère, il provoque un sentiment réel de repentir ; il peut alors, par l’absolution, essuyer les âmes de toutes ces scories que la vie humaine y dépose sans cesse et sans fin.
Il faudrait trouver un équivalent confesseur pour l’incroyant ou le non-pratiquant. Je ne pense pas que le psychiatre ou psychologue en fasse office : essentiellement techniques, ils ne s’adressent qu’à la raison, point au cœur et à l’âme, qui sont bien les premiers concernés en la matière.
Trouvons le moyen d’essuyer et nettoyer les âmes, qu’elles en ressortent propres « comme un sou neuf », comme ces bons métaux qui, sans fin, car ils n’ont pas la noblesse de l’or, mais néanmoins toute l’utilité et la beauté des métaux « ordinaires », cuivre, fer, argent, s’oxydent au contact de l’air ambiant, mais retrouvent, au prix d’un léger nettoyage périodique tout le lustre et le brillant de leur nature.
Que voilà un beau projet pour ce XXIème siècle, ce siècle du recyclage ! Mais contrairement au recyclage de nos déchets terrestres, ce ne peut être l’affaire des seuls scientifiques et techniciens de la matière. Il nous faut aussi impérativement y adjoindre des « scientifiques » et « techniciens » des cœurs et des âmes …