Pour faire des choses, des grandes choses particulièrement, il faut du temps, de l’argent et des gens. Les grandes choses, grands projets, grandes réformes, sans en être l’exclusive, sont particulièrement l’apanage de l’État ; il dispose en effet pour ce faire de moyens et de capacités uniques : pouvoir de décision sur une infinité de domaines majeurs, capacité d’embrasser l’ensemble des sujets et leur interaction, disponibilité de moyens humains, financiers et matériels considérables.
S’attaquant à la réalisation d’une grande chose, il doit en définir le temps, l’argent, et les gens nécessaires. Toutes ces ressources étant néanmoins rares et comptées, même pour un État tout-puissant, il faut les prévoir et les utiliser au mieux. Pour l’entreprise « privée », le temps nécessaire est le plus souvent un compromis entre sa puissance de réalisation -moyens financiers et humains- et la menace concurrentielle. L’un tempère, l’autre accélère. Pour l’État, point de menace concurrentielle, ou tout au moins infiniment plus diffuse, mais contrainte du temps politique, rythmé par les échéances électorales. On gère donc en fonction de ces échéances ; elles sont un obstacle redoutable aux actions à long terme.
Chaque gouvernement, selon son courage politique, sa solidité, gère à sa façon, alternant, combinant, mesurettes spectaculaires à court terme et grands projets essentiels à effets lentement perceptibles.
Pour l’argent, et en fonction du temps défini, il est « budgété », « libéré », « contrôlé », avec une méthode, une rigueur et une précision que rend nécessaire la rareté de l’argent, et que facilite la nature exclusivement quantitative et facilement mesurable de cette ressource. Acheteurs et négociateurs œuvrent ainsi à ce que chaque cent soit dépensé au mieux.
Et la Cour des Comptes s’assure que l’argent n’a pas été gaspillé, dépensé à des projets qui n’en valaient pas la peine, ou qui auraient pu être réalisés pour un coût moindre.
Et les gens ? Si leur nombre est précisément défini et contrôlé, – car qui dit homme dit salaire, donc argent-, leur « productivité » est-elle autant scrutée, optimisée ? Quel équivalent acheteur, quel équivalent négociateur s’assure que toutes les ressources d’énergie, d’intelligence, de compétence humaines sont effectivement déployées et utilisées au mieux ? Que chaque parcelle ainsi libérée est précieusement recueillie et utilisée ?
Nul équivalent de la Cour des Comptes, constitué d’experts incontestés en pâte humaine ne vérifie que les gens sont informés au mieux, formés au mieux, motivés au mieux, managés au mieux, etc.
Et pourtant ! Qui ne sait que si l’argent ne peut pas tout, la foi et l’énergie humaine peuvent déplacer des montagnes ? La valeur humaine n’est-elle pas infiniment plus précieuse et plus puissante que la valeur monétaire ?
Certes, il s’agit de valeurs humaines, donc infiniment plus difficiles à évaluer et à mesurer que de l’argent. Mais l’important n’est-il pas d’évaluer le plus finement ce qui est essentiel plutôt que ce qui est facile à évaluer ? Je rêve d’un État qui formerait, emploierait, élèverait aux sommets autant d’énergiseurs, autant d’enthousiasmeurs, que de gestionnaires …