On jalouse les beaux, on jalouse les intelligents, on jalouse les riches, mais on ne jalouse pas les jeunes… A la rigueur on les envie. Envier n’est pas jalouser. Jalouser c’est vouloir prendre la place, envier n’est que rêver. On rêve de redevenir jeune, on rêve de rester éternellement jeune, quitte, comme le docteur Faust, à signer un pacte satanique. Tout cela pour vivre avec les jeunes, et non pour prendre leur place.
La jeunesse a de ces grâces, de ces charmes que n’ont pas la richesse, la puissance ou l’intelligence. Le contact de la jeunesse est rafraichissant, c’est une source d’eau claire qui désaltère tous ceux qui sont assoiffés de vie. La richesse, la puissance, l’intelligence sont des feux qui réchauffent qui se tient à distance respectueuse, mais qui brûlent qui s’en approche trop.
Et pourtant, le spectacle de la jeunesse, insolemment étalée aux yeux de qui ne l’a plus, n’est-il pas celui d’une richesse passée qui jamais ne pourra revenir, ne provoque-t-il pas une réminiscence lancinante et déprimante d’un temps heureux à jamais révolu, ne rappelle-t-il pas, sans ménagement, et la déchéance physique incontournable, et le terrible terme qui la terminera ?
Et pourtant, et pourtant… Non seulement nous ne jalousons pas la jeunesse, mais nous la recherchons, nous l’aimons.
Parce que la jeunesse est contagieuse : point pour le corps, cette enveloppe charnelle qui suit, lentement mais inexorablement, sourde à toute résistance, son petit bonhomme de chemin vers l’anéantissement final ; mais pour l’esprit qui y habite : capable, provoqué, stimulé, infusé, au contact d’une jeunesse débordante, de garder intacts, malgré les ans et les épreuves qui s’accumulent, cette fougue, cet enthousiasme, cette envie d’agir, si caractéristiques d’une jeunesse saine. Certes revêtus d’une sagesse acquise au fil des ans qui ordonne et tempère, mais bien réels sous ces vêtements qui ne sont qu’habits respectables d’un être qui reste toujours aussi vivant.
Parce que la jeunesse ce sont nos enfants, et que nos enfants nous les aimons, plus que nous-mêmes. Toute jeunesse nous les rappelle, nous les évoque, et provoque, en un réflexe pavlovien, un mouvement de sympathie, une prédisposition favorable, qui nous rendent aussi tolérants que facilement éblouis.
Parce que, pour tout cela, la jeunesse nous irrite et nous fascine tout à la fois : sentiments complexes, profonds et contradictoires qui nous remuent, nous secouent, en un mot nous sortent de cette douce et terrible léthargie de la routine, du quotidien, de la résignation, dans laquelle l’accumulation des années vécues, petit à petit, nous ferait sombrer. Nous le sentons bien et, inconsciemment, en sommes formidablement reconnaissants à cette terrible jeunesse qui, pourtant, semble nous narguer.
Parce que, au final, si la jeunesse est merveilleuse, au sens du merveilleux pays d’Alice, notre âge, pour respectable et avancé qu’il soit, n’est pas en reste de ses propres merveilles, si nous savons les chercher et les voir. Plus que de simples plaisirs, tout âge a ses bonheurs. Celui, et ce n’est pas des moindres, d’avoir tant de choses à enseigner, à transmettre à cette jeunesse que nous admirons, que nous envions, mais que nous soutenons également, qui nous doit tout ce qu’elle est, et pour qui nous sommes, quoiqu’elle en dise, une forme de modèle, et, à tout le moins, un inestimable recours…