Oui, quelle banalité de dire cela ! Il y a deux endroits où se tenir dans la vie : l’un, réduit, intime, connu dans ses moindres recoins, aimé plus ou moins, mais tout à soi, dominé ; je veux dire sa maison, son logis, son chez soi. L’autre, c’est tout le reste de la Terre ; le complément et l’opposé du chez soi : immense, intimidant, dont chacun ne connait qu’une infime part, sauvagement inhospitalier autant que magiquement accueillant, éternellement dominateur. Un monde fascinant, inquiétant, écrasant, d’un côté ; un monde sans surprise, rassurant, intime de l’autre. L’aventure, l’inconnu ici ; la sécurité, le cocon là.
Fermez les volets, et vous vous retranchez totalement de l’un ; tournez au coin de la rue, et vous vous retranchez totalement de l’autre.
Sachez que les deux sont nécessaires au bonheur : qui, cloîtré chez lui ne rêve de s’évader ? Qui, balloté dans le monde, ne rêve de son coin du feu ? Sécurité, aventure, sont bien les deux mamelles de l’épopée humaine.
Il en est du monde de l’esprit comme du monde physique ; fermez les sens, vous êtes tout entier en vous-même. Tournez au coin de la rue -que les évènements vous empoignent tout à plein- vous êtes tout entier à l’extérieur de vous-même.
Chacun organise, décore et arrange son chez-soi comme il l’entend ; certes selon ses moyens, selon les matériaux usuels de l’endroit, selon les modes, mais chaque logis est néanmoins unique, marqué de l’empreinte de qui y loge. C’est tout pareil du logis de notre esprit, ce coin du feu que nous abritons dans notre tête, où nous nous retirons avec délectation, havre de repos des fatigues de la vie extérieure. C’est un monde à nous, tout entier dans notre tête, composition unique, fruit de la rencontre, de l’osmose diraient les pédants, d’un monde réel passé au tamis d’une personnalité, d’une expérience, d’une histoire, d’une éducation. Tant d’ingrédients entrent dans cette composition, aux infinies combinaisons possibles, que l’on comprend bien qu’elle soit unique.
Mais tout comme on deviendrait fou à être enfermé dans un logis sans fenêtre, on deviendrait fou à être enfermé dans notre tête sans nos cinq sens. C’est que le logis, sans le monde extérieur, ne serait pas. Tous ce qui le compose, matériaux, mobiliers, n’en provient-t-il pas à l’origine ?
Notre monde intérieur n’est-il pas aussi une sorte de Lune, satellite en apparence autonome, mais qui tourne autour de sa Terre, dont il est issu, à laquelle il est éternellement attaché, en équilibre permanent entre la force centrifuge -ce désir de coin du feu- et la force centripète -se plonger dans l’action et l’aventure ?