Il en est du métier comme de la voiture. Chacun la considère à sa façon : du véhicule vécu comme purement utilitaire, source de coût avant tout, ustensile obligé de la vie moderne, jusqu’à l’objet adoré, amoureusement lavé et briqué, aimé pour lui-même. Avec, bien sûr, tous les stades intermédiaires. Goût ou désintérêt pour la vitesse, goût ou désintérêt pour la mécanique, goût ou désintérêt pour les belles choses, goût ou désintérêt pour le paraître, sont parmi les multiples raisons de ces si diverses attitudes. Nulle raison, vous le voyez, dans ces raisons, que du sentiment, rien que du sentiment, voire de la passion. Question de tempérament et de goût avant tout.
Chacun considère également son métier à sa façon ; question de goût et de tempérament, là aussi : on peut, tout comme à l’égard de sa voiture, goûter son métier ou le trouver insipide. On le goûtera d’autant plus que le mets sera succulent : si le portefeuille a permis d’acheter une « belle » voiture, si la formation a permis d’embrasser un « bon » métier, on est évidemment plus enclin à le goûter. Métier « low cost », tout comme voiture « low cost » excitent forcément moins que mécanique merveilleusement huilée avec chromes rutilants, ou métier élaboré avec vraies responsabilités.
Question de tempérament aussi, d’abord et surtout, à mon sens : c’est l’amour du métier, quel qu’il soit, l’amour du travail bien fait, la conscience professionnelle, toutes appellations qui recouvrent la même notion : quoique je fasse, travail ou autre, je le fais bien ou je m’en fiche, avec tous les stades intermédiaires: il existe ainsi des indifférents dans les plus beaux métiers, des consciencieux dans les plus laborieux des métiers.
À tout prendre, pour être heureux, il vaut mieux le plus modeste des métiers avec le plus positif des tempéraments, que le plus exaltant des métiers avec le plus morose des tempéraments.
Heureux celui qui chante au plus dur de l’hiver, pauvre l’indifférent au plus beau jour de printemps.