Un livre qu’on lit en quelques heures, alors que l’auteur a mis des jours à l’écrire, un tableau qu’on détaille en un clin d’œil, alors que le peintre a mis des jours à le peindre, un plat qu’on avale en quelques secondes, alors que le chef a mis des heures à le confectionner, une maison dont on ne distingue pas les détails, alors que son propriétaire les a imaginés tout au long de sa vie, un paysage qu’on ne voit pas, alors que Dieu et les hommes ont mis des siècles à le construire, nos proches qu’on ne prend le temps de comprendre, alors qu’ils ont mis une vie à se construire…
Des choses ainsi qu’on lit, qu’on regarde, qu’on côtoie, qu’on mange, qu’on néglige, avec désinvolture, inattention, sans se rendre compte ou être seulement conscient de tout le temps, le savoir, l’âme et le talent qu’elles ont nécessité pour être.
Tant de ces merveilles contenues dans un objet ! Il est vrai qu’aujourd’hui, où l’industrie s’est substituée à l’artisanat, tant d’objets sont devenus des « productions industrielles » au regard des objets d’autrefois tous issus directement de la main – et du cœur – de l’homme. Il n’empêche. Beaucoup de cœurs, de talents et d’âmes sont encore à l’œuvre pour créer. Mais comment percevoir ces merveilles, comment y être sensible, sans soi-même détenir un peu de ce savoir, de ce talent, de cet amour qui ont présidé à leur création? L’architecte seul appréciera pleinement la subtilité d’un monument, le gastronome celle d’un plat, le peintre la valeur d’un tableau, le photographe l’harmonie d’un paysage, le sage la sagesse de ses semblables.
Gâchis que toutes ces merveilles étalées en permanence et à profusion à notre porte et que nous ne voyons pas même ! Tristesse de tous ces créateurs qui ne voient pas leurs créations reconnues à leur juste valeur! Nous sommes tous, peu ou prou, et à longueur de journée, des éléphants dans des magasins de porcelaine…
Là est peut-être le vrai bonheur de l’homme cultivé qui, connaissant la fleur de tant de choses, y est sensible. Il s’émerveille là où d’autres ne distinguent rien.
Cultivons-nous pour éprouver du bonheur à profusion à propos de tout et de rien. Cultivons-nous pour éprouver le bonheur de contempler plutôt que la banalité de regarder.