Un principe naturel, étonnant mais bien réel : Pour que de grandes choses se fassent, il faut que les éléments soient hostiles, suffisamment hostiles. Des œuvres de Titan ne sauraient se faire sans travail titanesque. Titan portait toute la charge du monde sur ses épaules, c’est dire le symbole !
La nature et la vie fourmillent d’exemples : les fourmis elles-mêmes, pour bâtir leur extraordinaire fourmilière, ne doivent-elles pas transpirer (si tant est que les fourmis transpirent…) à trimballer des fétus qui ne sauraient être plus légers pour convenir.
Les plus grands vins ne viennent-ils pas sous les climats les plus frais que la vigne puisse supporter, et les sols les plus maigres où elle puisse végéter ?
Les meilleures terres ne sont-elles pas les terres argileuses les plus lourdes et difficiles à travailler ?
Les meilleurs bois ne sont-ils pas les plus longs à pousser ?
Les produits les plus utiles à l’industrie humaine ne sont-ils pas les plus rares : l’eau douce si chiche par rapport à l’eau des mers ; tous ces métaux si chichement et profondément enfouis ; la bonne terre arable si rare par rapport aux immenses étendues infertiles ?
Les meilleures fondations pour bâtir ne sont-elles pas où il faut s’échiner à aplanir la roche plutôt que facilement creuser une terre bien meuble ?
C’est toujours la même histoire qui date de bien avant l’apparition de l’homme sur Terre : rien de grand ne se fait sans effort, tu gagneras ton pain à la sueur de ton front, etc., etc.
Ce n’est rien de plus au fond qu’un principe de mécanique vieux comme le monde, lui aussi : la force nécessaire à déployer doit être au moins égale à la force de résistance qui s’y oppose. Faire quelque chose de grand, cela signifie modifier « en grand » l’ordre des choses naturelles, si bien et si solidement établi. Imaginez donc la force qu’il faut pour y parvenir ! Pour y prétendre il faut être fort, avoir déjà mis en œuvre cette force, avoir éprouvé maintes et maintes fois cette résistance pour la déployer, l’exercer, l’amplifier. Dieu l’a bien compris qui, au-delà de la résistance naturelle des éléments qui fait que la Terre n’est plus le Paradis initial, a mis au sein de l’homme lui-même toutes ces forces de résistance qu’il doit s’obliger à vaincre pour avancer : paresse, lâcheté, renoncement, facilité, mollesse, ces mille petits démons pervers qui nous obligent à les combattre au quotidien sous peine, si nous y renonçons, de sombrer, tels les plus valeureux des soldats d’Annibal, dans les délices de Capoue.
Le plus dur des combats dit-on, ce n’est pas le combat contre les choses ou les êtres, c’est d’abord le combat contre soi-même. Qui ne l’a pas éprouvé, et ne le poursuit pas sans cesse et victorieusement, ne peut prétendre à gagner d’autres grands combats.