Soyons respectueux envers les gens qu’il convient de respecter, même s’ils ne sont point tout à fait respectables. Il faut avoir des gens à respecter car le respect a cette vertu d’honorer et de civiliser ceux qui le manifestent.
L’important n’est pas que les gens soient réellement respectables, l’important c’est qu’il soit donné à tout un chacun d’éprouver le bonheur de respecter sincèrement des gens ; c’est toute notre perception de l’humanité qui s’en trouve ainsi rehaussée et, par ricochet, notre perception de nous-mêmes.
Qui ne respecte personne ne se respecte pas lui-même. Peut-être s’aime-t-il, mais il ne se respecte point. Respecter quelqu’un, c’est lui prêter des qualités ou des vertus que l’on prise particulièrement, et que l’on aspire soi-même à posséder, ou à posséder plus encore. On peut respecter un démon, si l’on aspire aux qualités démoniaques. Les grands malfrats et grands malfaisants inspirent autant de respect -teinté de crainte bien souvent, mais une indiscutable part de respect néanmoins- à leurs séides et admirateurs, que les grands saints et grands bienfaisants. Aussi pour choisir les vertus à respecter et ceux qui en sont le plus pourvus, est-il souhaitable de s’en remettre aux choix entérinés par la sagesse populaire.
Respectons donc les gens à priori respectables : ceux que leur état ou leur profession munissent à priori de ces vertus et qualités auquel tout être doit aspirer.
Vois-tu, me susurrera alors à l’oreille le Malin, comme ce saint curé est gras et rebondi ! Entends comme ce magistrat révéré médit de son confrère ! Écoute comme ce digne aristocrate parle mal ! Sais-tu comme cet artiste de génie est avare !
Mais entends-donc toi-même comme ce Démon placé si haut qu’on en fait un rival redouté de Dieu lui-même, se repait de l’étalage des petites faiblesses. Comment donc peux-tu le respecter ? …. et l’écouter? N’as-tu donc toi-même aucune de ces petites faiblesses ?
Imagine que Dieu, évidemment infiniment moins disert que le Démon, nous susurrerait à l’autre oreille : certes ce ne sont que des hommes, ils ont donc des petites faiblesses, mais sais-tu combien ce saint curé a consolé de malheureux, sais-tu comme ce magistrat est équitable dans ses jugements, sais-tu comme cet aristocrate est désintéressé, sais-tu combien cet artiste a fait rêver de gens ?
Malheureusement Dieu est muet, ou parle si bas. Alors qu’une langue de vipère, si longue et acérée, s’insinue si facilement jusqu’au fond d’une oreille !
Oui, répondras-tu, je veux bien qu’un curé soit gras et rebondi, mais je ne peux accepter qu’il ne console pas les malheureux. Certes, je t’entends. Mais pour un mauvais curé, dix sont bons. Faut-il donc jeter tous les curés aux orties pour un mouton noir ? Es-tu toi-même si parfait pour afficher une telle intransigeance ?
Quitte à passer pour naïf, qu’il est préférable de respecter à juste titre dix personnes respectables que de leur dénier ce respect au motif que peut-être une parmi elle n’en est pas digne !
Au lieu de s’acharner à chercher ce qui est blâmable chez les agneaux, et les colombes, si nous nous acharnions à chercher ce qui est respectable chez les hyènes et les chacals ?
Malheureusement notre époque est bien plus acharnée à la recherche des colombes noircies qu’à celle de ce qui peut être blanc chez les chacals.
Le respect n’est plus de mise, car il est plus important de paraitre lucide que respectueux. Mais de la lucidité au cynisme, il y a un pas infiniment plus rapide à franchir que du respect à la naïveté.
Que chacun s’efforce chez son prochain d’apprécier le blanc plutôt que le noir, et le respect refleurira à pleine prairie comme pâquerette au printemps !