L’insolente réussite : tel est l’intitulé que la plupart des commentateurs pourraient retenir afin d’illustrer leurs analyses des derniers chiffres de l’économie allemande, dévoilés début janvier.
Hausse du PIB de 1,9% en 2016, en dépit d’une conjoncture internationale portée à la dépression depuis le Brexit, fort excédent commercial, faible dette, etc : voici donc les principaux résultats de notre voisin d’outre-Rhin, performant quand la France semble à la traîne et dynamique alors que l’Hexagone paraît s’enfermer dans une « dépression » perpétuelle.
Le constat est pourtant connu et jouer les pythies du « déclinisme » est une tentation trop facile pour que l’auteur de ces lignes choisisse d’y céder. Encore faut-il comprendre les raisons d’un tel succès, corrélé au maintien de cette puissance industrielle qui, contrairement à bon nombre de pays européens, refuse de se voir reléguer au rang de simple souvenir glorieux et regretté.
L’Allemagne est ainsi forte de son fameux « Mittelstand », terme source de fantasmes et de contre-vérités, un de ces mots magiques du jargon économique international que l’on cherche bien souvent à reproduire avant même de le comprendre.
Les entreprises industrielles de taille intermédiaire, notamment celles réalisant un chiffre d’affaires supérieur ou égal à 50 millions d’euros, en constituent le cœur. Capables de séduire le consommateur local comme d’exporter dans le monde entier leurs produits, elles sont dans leur grande majorité aux mains d’une famille fondatrice, qui en contrôle capital, activités et stratégies.
Cet encrage familial n’a, bien sûr, rien d’anodin. Gage de pérennité, il permet d’inscrire la société dans le temps long et fait ainsi ressortir certaines vertus particulièrement appréciables en ces temps de difficultés économiques persistantes.
La constance, la méfiance face aux profits trop faciles, trop rapides et face aux stratégies « court-termistes », la volonté de s’ancrer au sein d’un territoire et le goût des produits de qualité sont au cœur des préoccupations de l’entrepreneur familial, soucieux de sa performance actuelle mais également motivé à l’idée de transmettre les fruits durables de son travail.
Toutes ces qualités, qui garantissent d’ailleurs la résilience éprouvée des entreprises familiales en périodes de troubles, recoupent certains avantages propres aux entreprises de taille intermédiaire, capables d’associer la souplesse nécessaire et la puissance financière adéquate afin de s’adapter dans la durée aux évolutions de leurs marchés.
Notre pays, nourri depuis des décennies aux discours triomphants des « pépites » du CAC40, n’éprouve pas, à priori, la même appétence et le même enthousiasme que l’Allemagne envers cette catégorie d’entreprises.
Sans doute faudrait-il blâmer le mythe suranné des 200 familles contrôlant le pays au cours du XIXe siècle, autant que l’image négative laissée dans l’inconscient collectif par les « maîtres de forges » paternalistes de l’Est et du Nord.
Pour autant, à l’heure où plus de 70% des ETI de notre pays sont aux mains d’une même famille, un certain engouement semble enfin renaître autour du « capitalisme familial », pilier ainsi méconnu de la croissance et de l’emploi.
On ne peut donc que déplorer le principal frein à son développement, à savoir le faible nombre global d’entreprises de taille intermédiaire en France : 4 600 seulement, alors qu’elles sont plus de 12 000 outre-Rhin et 10 500 outre-Manche.
Nonobstant la méconnaissance flagrante du public et des décideurs envers la réalité des ETI familiales, nous aurions tout à gagner à conserver celles qui existent et à en développer de nouvelles.
Plusieurs pistes dans ce sens existent : alors que le taux de transmission reste faible (14% seulement en France), créer une fiscalité de transmission réellement incitative, via par exemple des « pactes » d’exonération fiscale est une priorité. Il faut par ailleurs encourager l’investissement au service d’une stratégie de long terme.
Mais c’est à nous, entrepreneurs familiaux ainsi qu’aux pouvoirs publics et aux principaux décideurs économique de rappeler constamment l’attrait et l’utilité pour la société de ces structures, seules à même de réunir la flexibilité des TPE et la solidité des grands groupes, cocktail unique qui devrait séduire les jeunes générations à la recherche d’une vie professionnelle pleine d’aventures.
Arnaud Gobet
Président d’INNOTHERA
Paru sur L’Usine Nouvelle le 18/02/2017