Bien que la France soit le plus beau pays du monde, les Français, comme le montre la toute récente dernière enquête à ce sujet, ne sont pas, loin s’en faut, le peuple le plus heureux du monde. Que nous manque-t-il donc pour l’être ?
Liberté, égalité, fraternité. Inscrite aux frontons de nos monuments, gravée dans les esprits citoyens, exaltée par les orateurs patriotes, cette noble devise nous définit et nous éclaire, nous tous, Français que nous sommes. C’est écrit, c’est dit et c’est avéré, nous sommes tous libres, égaux et frères.
Nul n’est empêché de faire ce que bon lui semble, puisqu‘il est libre. Nul ne peut afficher orgueil, suffisance ou mépris, puisqu’il est égal. Nul ne peut se sentir détenteur de l’autorité d’un parent ou obligé à la soumission d’un enfant, puisqu’il est frère.
Évidemment, c’est là l’interprétation abusive et au pied de la lettre d’une devise infiniment plus symbolique et subtile qu’elle ne le laisse croire au premier abord.
Toutefois, toute symbolique et subtile qu’elle soit, cette magnifique devise définit sans ambiguïté l’esprit de la communauté humaine qui s’attache à s’en prévaloir : liberté – et quel que soit le sens exact et les limites qu’on donne à cette liberté- signifie que tout un chacun est maître de son destin, et dispose des moyens pour l’être. Égalité signifie que nul ne peut prétendre à en remontrer à personne. Fraternité signifie qu’étant tous frères, des liens affectifs forts et durables nous unissent.
Pour qu’il en soit ainsi, que chacun vive sa vie au mieux qu’il l’entend, sans complexes d’aucune nature, tout en affectionnant ses semblables, il est une vertu nécessaire qui doit prévaloir à toutes les autres, qui pourtant est si rarement évoquée : la confiance…
Peut-être, me direz-vous, sommes-nous comme Monsieur Jourdain avec sa prose, peut-être pratiquons-nous si largement la confiance qu’elle en devient une telle évidente seconde nature qu’il n’est pas nécessaire de l’évoquer pour la pratiquer. Peut-être….
Pour s’en assurer, tournons-nous vers les mots usuels communément employés pour définir les divers aspects de notre vie collective. Les mots ne sont jamais anodins, ils traduisent les sentiments profonds qui les ont enfantés : ainsi le citoyen est, selon les occasions, cité comme un usager, un contribuable, un administré, un prévenu, un ressortissant. Il dépend d’une administration de tutelle qui octroie des autorisations, qui réprime les fraudes, qui contrôle les abus. Il peut, à l’occasion faire valoir ses droits – ce qui implique qu’ils ne s’imposent pas naturellement-, dont il ne saurait cependant se prévaloir abusivement. Il est habilité à faire ceci ou cela, sous certaines conditions. Et le patron, ou le chef est souverain sur le sort de ses salariés, de ses employés qui peinent à défendre leurs droits. Tout contrevenant s’expose à subir les foudres d’une autorité gardienne de ces innombrables lois et règlements que nul n’est censé ignorer.
Fort bien pour contenir les inévitables mauvais penchants de toute collectivité humaine !
Mais face à cette débauche si créative de vocabulaire directif ou comminatoire, et pour encourager les tous aussi inévitables bons penchants de cette même collectivité, vous chercherez en vain dans ces innombrables textes de toutes essences et de toutes provenances le mot confiance….
Ainsi ce petit voyage à travers notre lexique citoyen ne fait pas transparaitre, loin s’en faut, qu’il est sous-tendu par un esprit général de confiance. J’oserais dire même qu’il traduit bien plutôt une sacrée défiance à l’égard de ce satané gaulois, individualiste et brouillon que, parait-il, nous sommes tous, et qu’il faut coûte que coûte faire passer sous les fourches caudines d’une autorité supérieure qui met tout ce gentil petit monde bien au carré….
Alors, à l’heure où l’on nous propose fort opportunément divers chocs, pour faire bouger notre bonne société française, elle-même soumise aux divers chocs d’un monde qui évolue par saccades de plus en plus nombreuses et multiples, et exige de chacun d’autant plus d’initiative, d’autonomie, de responsabilité, à quand le choc de confiance ?
La confiance ne peut durablement s’établir que si elle est réciproque. Si l’on veut que les Français aient confiance en leur pays, montrons leur que leur pays leur fait confiance, sans ambiguïté et sans restrictions…