Remise des insignes d’Officier de la Légion d’honneur : discours d’Arnaud Gobet

Monsieur le Ministre, Cher Bruno Le Maire,
Madame la députée, Chère Albane Gaillot,
Monsieur le député, Cher Stéphane Viry,
Mesdames et Messieurs les éminents représentants du corps médical, du monde de la santé et de la sphère académique,
Chers amis,

C’est un grand honneur pour moi, Monsieur le Ministre, de recevoir cette distinction de vos mains.
Vous êtes, à l’évidence, un homme d’Etat, muni d’une véritable vision autant que d’un sens politique – au meilleur sens du terme – aigu, et il faut de tout cela, nous le savons, pour porter la lourde charge qui est la vôtre.

Mais vous êtes aussi un ardent défenseur de ce qui donne un sens à la vie, de ce qui fait la grandeur de notre culture : les belles lettres, la poésie, les arts, la musique. Rien de tout cela ne vous est indifférent, je dirai même, tout ce qui s’y oppose, ou n’y porte pas assez de considération vous indigne. Vos nombreux livres, autant par leur forme que par leur fond, l’attestent, avec ce souci qui vous honore plus que tout de construire « pour nos enfants » un monde qui leur soit digne.

Innothera-Bercy-famille

Aujourd’hui, à travers moi, c’est une histoire qu’on honore : une belle histoire, bien représentative de l’un des fondements sur lequel repose la prospérité de notre beau pays: l’histoire d’une entreprise familiale, INNOTHERA, créée il y a plus de 100 ans par un pharmacien entrepreneur, visionnaire et plein de talents, mon grand-père, prolongée par son gendre, mon père, véritable industriel dans l’âme, et poursuivie par moi-même depuis 30 ans maintenant, avec le soutien bienveillant de mon frère Thierry. Je ne suis que la 3ème génération, le 3ème maillon de cette chaîne dont j’espère qu’elle en comptera de nombreux encore. Je suis certain que mes 3 fils qui m’écoutent aujourd’hui me donneront raison.

Car j’ai l’honneur et la chance, je ne sais si c’est par mon mérite, mais certainement par ma naissance, de présider aux destinées d’une entreprise industrielle, une ETI, entreprise de taille intermédiaire, dit-on aujourd’hui. 
Présider aux destinées. Il y a le mot présider, mais aussi et surtout le mot destiné.

Dérivé du mot destin. Qui exprime tout ce qu’il y a d’imprévisible, d’incertain, dans la vie d’une entreprise, cette « personne morale » comme on dit, être vivant donc, et astreint, si elle veut durer, à la plus grande exigence de moralité.

En matière de cavalier, tantôt va l’homme sur la selle, tantôt va la selle sur l’homme, dit le sage.

Rien ne s’applique mieux aux destinées d’une entreprise, tour à tour ou simultanément maîtresse de son destin par une vision et une stratégie clairement exprimée, ou prise à partie, malmenée, par des évènements extérieurs, qui n’ont que faire de cette belle stratégie. Innothéra, comme toute personne d’âge respectable, en a eu son lot.

Une entreprise centenaire et familiale, c’est une belle histoire, c’est une aventure sans cesse renouvelée, c’est une succession de générations de toutes sortes : générations humaines, mais aussi culturelles, scientifiques, techniques. Le monde d’aujourd’hui, nous le savons bien, n’a pas grand-chose de commun avec le monde d’il y a 100 ans. Quand on compare les photos sépia des ateliers d’avant-guerre d’Innothéra avec nos ateliers d’aujourd’hui, (et je ne parle pas encore de l’usine 4.0 et des multiples robots annoncés !), on mesure combien nous sommes sur des planètes différentes !

Et pourtant c’est toujours INNOTHERA, et pas seulement par le nom, quelque chose d’infiniment plus subtil et profond : si les époques ont changé, l’engagement est toujours de même nature : une histoire commune partagée, avec ses épreuves et ses succès qui, les uns comme les autres, créent ce sentiment d’appartenance si fort, soudent les générations les unes aux autres.

Des valeurs humaines, basées d’abord et avant tout sur la confiance et une mission de santé clairement exprimées ; et, plus concrètement mais tout aussi important, des savoir-faire et des expériences accumulés. On ne sait bien quoi que ce soit que lorsqu’on le sait après l’avoir appris il y a longtemps, disait Joubert au XVIIIè siècle. C’est tout ce qui fait que l’entreprise et ses produits, à leur insu, ont acquis une « réputation », actif incorporel, si long à bâtir, si fragile, mais si essentiel. Et que seul le temps, la stabilité et la continuité, permettent de bâtir.

Le temps, le tempo : le temps qui file inexorablement. Le bon tempo : choisir le bon, entre le temps qui mûrit et le temps qui pourrit. Préoccupation, pour ne pas dire obsession permanente du chef d’entreprise. Décider, mais ni trop tôt, ni trop tard. Prendre le train du progrès en marche, surtout ne pas le rater, mais pas forcément le wagon de tête, on ne peut être le premier sur tous les fronts ; Distinguer ce qui n’est que mode du moment de ce qui est une véritable tendance de fond ; faire aujourd’hui ce que tout le monde fera demain, mais pas après-demain ; développer les innovations au rythme imposé par la concurrence, mais avoir le temps d’assurer son innovation. Anticiper l’avenir, mais à quelle échéance ? Gérer son propre temps, entre l’urgent qui vous mord aux mollets à longueur de journée et l’important, qui vous chuchote discrètement à l’oreille.

Il faut aller vite, il faut être flexible, agile, réactif, selon les mots à la mode, mais point confondre vitesse et précipitation, prendre le temps d’évaluer tous les effets induits, ne décider que suffisamment informé.
Gérer le temps, tout aussi important et infiniment plus complexe et subtil que gérer l’argent, mais avec infiniment moins d’outils et de techniques éprouvées.

Et puis évidemment, il y a les femmes et les hommes qui font, qui sont l’entreprise. Des hommes et des femmes de tous âges, de toutes expertises, de toutes expériences, de toutes nationalités et cultures aussi, particulièrement chez Innothéra où l’on exerce de nombreux métiers et est présent dans plus de 100 pays. Ils sont représentés aujourd’hui par notre Comité de Direction que je salue et que j’associe pleinement à l’honneur qui m’est fait ce jour

Une formidable richesse qui peut être aussi tour de Babel si l’on n’y prend pas un soin extrême. Ils doivent être convaincus pour être motivés, ils doivent se sentir en confiance pour innover, ils doivent partager des valeurs communes pour travailler ensemble efficacement, qu’ils soient chercheurs, commerciaux, ingénieurs, pharmaciens, administratifs, agents de maîtrise, opérateurs, qu’ils soient français, russes, africains ou américains.

Redoutable responsabilité du dirigeant, si essentielle, et si complexe à mettre en œuvre, car il s’agit de considérer -au sens noble du terme- la pâte humaine, riche de tant de possibilités, mais si mystérieuse ! Il s’agit de faire en sorte que l’entreprise apporte autant de prospérité, mais aussi d’épanouissement personnel à ses collaborateurs qu’eux-mêmes lui apportent d’énergie, de talent, et de prospérité.

Je voudrais dire deux mots de l’innovation, ce Graal où toute activité se doit aujourd’hui de tendre. J’ai eu la chance de la côtoyer, en ce qu’elle a de plus noble et de plus audacieux, particulièrement au cours de mon mandat de président de Medicen, le pôle de compétitivité de la santé d’Ile de France. Je dirai que, si elle est autant une nécessité vitale qu’une formidable opportunité, elle ne doit cependant pas occulter sa sœur, de tempérament tout à fait différent, plus besogneuse, plus entêtée, infiniment moins enivrante, mais tout aussi essentielle, je veux dire l’amélioration, le perfectionnement, faire mieux autant que faire nouveau, vingt fois sur le métier remettre l’ouvrage, comme le disait Boileau.

Notre époque, si pressée en tout, a tendance à oublier de prôner cette valeur qui elle, et j’y reviens encore, exige du temps pour se déployer. Cet ouvrage vingt fois remis sur le métier, c’est ce qui est fait, par exemple, dans les usines, où la course à la productivité, à la qualité, aux délais, est une obsession permanente, vécue par chacun.

Et ce n’est pas la moindre de mes fiertés, je dois l’avouer, qu’Innothéra ait pu créer dans les Vosges, il y a vingt ans, un tel site industriel, riche de 350 collaborateurs aujourd’hui. Ou, dans le Loir et Cher, transformer de fond en comble une usine pour la rendre capable d’exporter ses médicaments dans le monde entier. Il en a fallu, je dirai, de l’obscur acharnement autant que de talent méconnu, pour parvenir à cela ! Quelle formidable force pour une entreprise que cet acharnement, quand il existe !

Cet ouvrage vingt fois remis sur le métier, c’est aussi le mérite, la gloire j’oserai même dire, de ces 400 autres collaborateurs qui, à travers le monde, seuls sur le terrain, sans relâche, jamais découragés par l’indifférence ou le scepticisme auxquels ils sont sans cesse confrontés, vont convaincre des professionnels de santé qui ne les attendent pas, de l’intérêt et de la qualité de nos produits.

Ainsi à l’heure où l’on a tous les yeux de Chimène pour les startup, germes des grandes entreprises de demain, symboles éclatants de la jeunesse qui peut et qui ose, et qui fait le bonheur et la vigueur des entreprises autant que des pays ou des familles, je ne pense pas inutile de dire que rien de grand ne peut se faire sans la durée, et j’ose le dire, une certaine sagesse, dont ceux qui ont eu le temps de ressentir que la vie n’est jamais un long fleuve tranquille sont particulièrement munis.

Cette sagesse qui permet d’affronter avec la meilleure sérénité le ballet de menaces et d’opportunités qui sans cesse assaillent l’entreprise. C’est pourquoi mon ambition, blanchi sous le harnais que je suis, et muni, je crois, d’un minimum de cette sagesse que je vante, est de présider aux destinées de ce que j’appellerai une start up centenaire : allier la fougue formidablement positive de la jeunesse à la sagesse exemplaire de l’expérience. C’est une ambition, un idéal. Mais ce n’est pas une utopie.

Bien sûr je ne prétends pas y être parvenu, mais le but a le mérite de la clarté.
Et je suis convaincu qu’une ETI, de surcroit familiale, garante ainsi d’une permanence de ses valeurs, et centenaire, ayant ainsi acquis cette sagesse, est particulièrement bien placée pour réussir cette apparente contradiction. Bien sûr, direz-vous, je prêche pour ma paroisse ! Mais j’espère néanmoins être objectif : c’est une taille intermédiaire qui, plutôt que de combiner les inconvénients des grandes et des petites entreprises, pourvu qu’on y prenne grand soin, en combine bien plutôt les avantages.

On a coutume de dissocier la vie professionnelle et la vie personnelle, la vie publique et la vie privée : les amis, les parents, et, bien sûr la cellule familiale, et je rajouterai soi-même, cet être avec lequel nous vivons en permanente intimité, que nous ne connaissons pas si bien que nous le pensons, et avec lequel il est essentiel de ménager des moments d’intimité, de dialogue.

Ces deux vies, publique et privée, nous le savons bien, sont infiniment plus associées, liées, intriquées, qu’on veut le laisser croire. 
A vous qui m’avez fait l’amitié d’être ici aujourd’hui, amis, amis de toujours, mais aussi , amis de Paris, du Loir et Cher, des Vosges, dont j’ai découvert la si riche qualité humaine aux détours de relations professionnelles, je voudrais dire combien votre présence me va droit au cœur, combien votre amitié, ce lien si solide et indéfectible, fait de bons souvenirs partagés et de connivence, m’est un soutien formidablement précieux pour affronter avec optimisme et détermination la tâche parfois rude de chef d’entreprise.

Deux mots sur la jeunesse : elle est bien représentée aujourd’hui, mes 3 fils, mes neveux et nièces, mes filleuls et leurs proches. 
La valeur n’attend point le nombre des années. Ils démarrent dans la vie, ce qui n’est pas si facile, chacun avec ses ambitions et ses talents, tous pourvus d’une énergie qui m’émerveille, et ils ont toute la profondeur nécessaire pour acquérir la sagesse, cette si belle patine du temps. Leur présence est une joie pour moi, et c’est le symbole de cette chaîne des générations que j’évoquais.

Je terminerai par les êtres qui me sont le plus chers : mon épouse Catherine et mes 3 garçons, Pierre, Henri, Victor. Ce sont eux qui donnent un sens et une perspective à mon engagement professionnel, ce sont eux qui m’apportent cette énergie indispensable pour avancer toujours.

Catherine, si présente et bienveillante. Elle a tant de formidables qualités, et je vous assure que je suis objectif ! Elle-même occupée à de nombreuses activités, philanthropiques et professionnelles -c’est une grande avocate, j’en fais l’expérience tous les jours à la maison !- , douée d’une empathie et d’un sens de la compassion qui font mon admiration, elle ne ménage pas son temps et ses efforts pour me rendre un tant soit peu humain !

Mes trois fils, sujets de fierté pour moi, chacun avec sa voie qu’il se trace, que j’abreuve de conseils plus ou moins avisés et plus ou moins écoutés, et qui, ils n’en sont peut-être pas conscients, m’apportent une formidable raison et force de vivre et de lutter.

Voilà. L’humeur d’un homme de soixante ans est presque toujours le reflet, heureux ou malheureux, de sa vie, disait Edmond About.  Je pense que c’est toujours valable à 66 ans !

J’ai la grande chance d’avoir eu et d’avoir une vie heureuse, aussi suis-je d’humeur heureuse -j’espère que ma famille et tous ceux qui me côtoient ne me contrediront pas !-
Heureux particulièrement aujourd’hui, où je mesure l’honneur qui m’est fait, Monsieur le Ministre, où je vois avec quelle sincère chaleur et amitié vous êtes tous venus partager avec moi ce moment si fort de ma vie !

C’est donc dans cet esprit d’humeur heureuse que je vous remercie à nouveau et vous invite maintenant à partager autour d’un verre cette amitié qui nous réunit aujourd’hui.